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Mercredi
3 novembre 2004 |
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Noirs
désirs |
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©
PATRICK BLANCHARD
| ©
PATRICK BLANCHARD
| Victor
Noir | André
Gill | |
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Le
corps a ses raisons, que la raison ne connaît pas. |
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Non,
il n'y a pas d'erreur, il ne s'agit pas du cœur, je connais mes textes, et si
je vous parle de corps, à Dieu ne plaise, ce n'est pas pour renier le très pieux
Blaise Pascal… Même si les corps dont il s'agit ont l'étrange particularité d'évoluer
à travers les allées du cimetière parisien du Père-Lachaise. |
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Et
ben, dites donc, c'est gai, vous vous dites, l'humeur du jour… |
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Disons
que c'est pas triste… |
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Et
puis c'est la Toussaint après tout. |
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Franchement,
si on ne parle pas de cimetière à la Toussaint, quand est-ce qu'on va en parler
? |
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Quand
même pas à Noël ? |
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Vous
me voyez, entre la bûche et la dinde… Ça ne se fait pas. |
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On
ne parle pas de cimetière, autour d'une crèche. |
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À
part à Bethléem et dans les territoires occupés. |
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À
Noël, d'ailleurs, on ne dit pas non plus, "ça sent le sapin"… Pourtant, on pourrait. |
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Même
si le sapin de Noël ne sent pas toujours le sapin. Il sent la bougie, il sent
parfois le graillon à cause des guirlandes de boudin blanc, il sent les pieds
avec tous les souliers qu'on lui met autour, que même parfois on se croirait à
la mosquée, alors que c'est toujours une fête chrétienne, et il sent encore, un
tout petit peu, "le petit jésus", qu'on a aspergé d'encens (non pas d'essence)
et de myrrhe, pour qu'il supporte l'odeur des pieds… de l'âne… et du bœuf. |
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Bref
à Noël ça sent tout sauf le sapin… Et ça sent souvent l'argent. C'est pas peu
dire, quand on sait que l'argent n'a pas d'odeur… |
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Noël,
c'est la fête du petit jésus, qui était très moderne, puisqu'il est né in vitro,
et c'est la fête de tous les enfants. En France, les enfants, on les emmène au
cinéma, voir le dernier Disney ou revoir les 101 dalmatiens, dans leur niche,
et pour ceux qui sont vraiment croyants et qui ne croient pas au Père Noël…on
les emmène voir le fils de Dieu, dans la crèche… avec son âne et avec son bœuf,
car on aime bien les fermes, en France. |
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C'est
ainsi et c'est dans l'ordre des chose : la crèche de Noël, c'est à Noël, et le
cimetière avec la mamie, c'est à la Toussaint. |
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Et
la ferme célébrités avec la Danielle Gilbert ? |
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C'est
entre avril et juin, après le salon de l'agriculture car en France on aime bien
les fermes… Et c'est sur TF1. |
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Pour
l'instant donc, revenons à notre tradition du jour et allons au cimetière. |
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La
Toussaint, il faut bien l'avouer, c'est un peu triste comme tradition. C'est pas
vraiment la fête, surtout pour les enfants. C'est sans doute pour ça qu'on a inventé
Halloween, pour les amuser un peu et leur faire passer la corvée annuelle du fleuris
"sage" de la tombe du papy, avec mamie tout en noir, surtout qu'elle est bien
triste, mamie, depuis qu'il est "parti", l'papy, même si elle s'est fait plein
de copines, depuis. |
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Et
puis, la corvée terminée, on se dépêche d'oublier l'éphémère passage de l'autre
côté du mur, on range ses robes noires, ses araignées, sa gueule d'enterrement,
sa tête de potiron et le cimetière… on le laisse "tomber", si j'ose dire. |
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C'est
qu'on n'a plus le temps. Il y a les fêtes de fin d'année à préparer. Et puis,
juste après, il y a le blanc, on va pas ressortir les robes noires, et après c'est
mardi gras… Vous vous voyez, vous, de nos jours, aller au cimetière avec des crêpes…
Ensuite il y a le salon de l'agriculture… puis la ferme célébrités et voilà… les
grandes vacances sont déjà là. Alors le cimetière, on se dit que ça attendra la
rentrée.. |
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De
toute façon, c'est sûr, on y va toujours à la Toussaint. Même qu'on achète un
très beau chrysanthème pour qu'il dure au moins jusqu'à Noël… |
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Tout
ça pour dire, qu'à part à la Toussaint, le reste du temps, les cimetières, c'est
finalement pas très fréquenté. Par les gens normaux, j'entends, enfin les gens
comme vous et moi, quoi. |
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Et
bien, figurez-vous qu'il y a pourtant dans les cimetières, des gens "para-normaux"
sans doute, qui y vont très souvent et pour qui, le cimetière, c'est un peu comme
une drogue… |
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Sur
quel terrain glissant il nous emmène, le chroniqueur… |
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C'est
sans doute parce que c'est la Toussaint. |
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C'est
vrai, en général il pleut. Autrement ce serait pas un temps de Toussaint. |
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Forcément,
quand il pleut le terrain glisse… surtout à cause des feuilles mortes qu'on n'a
pas eu le temps de ramasser à la pelle, parce que dans les cimetières, les pelles,
elles servent à autre chose qu'à ramasser des feuilles mortes… Donc prenez garde,
si vous allez au cimetière, ces temps-ci, même si c'est la saison, faites quand
même attention… C'est comme pour les champignons. Attention. Danger de mort… ou
tout au moins de glissade, voire de dérapage. |
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Il
y en a que ça ne dérange pas de déraper et qui y prennent même un certain plaisir.
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Dans
un cimetière… du plaisir. |
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Enfer
et damnation. |
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C'est
ainsi qu'il paraîtrait que des bacchanales se perpétueraient, assidûment, derrière
certains bosquets du Père-Lachaise, laquelle chaise, un chaise longue… à la longue,
commencerait à être plutôt défoncée… |
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Quelle
aventure ! |
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Sous
prétexte d'un promenade romantique… Chopin, Balzac, Musset, il y en aurait des,
qui, emportés par leur romantisme, s'y laisseraient même enfermer la nuit pour
des ballades au clair… et aux chairs de lune. |
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.Relisez
"Les nuits" de Musset, c'est très romantique. |
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Ne
vous étonnez donc pas si vous entendez des voix, un soir, en longeant les murs
du Père La chaise. Dites vous bien que ce n'est pas une vue de l'esprit, même
si le cimetière n'en manque pas, et que vous n'êtes pas sourd non plus, ce qui
tendrait à démontrer que, contrairement aux idées reçues, la masturbation ne rend
pas sourd. |
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Si
j'ai parlé de "para-normaux" c'est que l'esprit du lieu s'y prête, bien sûr. |
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N'allez
pas imaginer que ce sont pour autant les adeptes du spiritisme et les "fans" d'Alan
Kardec, qui, dés potron minet - dès potiron minet comme on dit désormais à la
Toussaint - hantent la tombe du maître pour lui toucher le front, qui se risqueraient
à y passer la nuit. |
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Ce
n'est pas davantage autour de la tombe de Jim Morrison où se consomment pourtant
nombre de spiritueux que les limites sont franchies. |
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C'est
en fait autour d'une autre tombe, bien particulière, que se livrent d'étranges
ballets, et c'est sur la tombe même que d'étranges "sorcières", forcément lubriques…
voire lubrifiées, chevauchent de biens étranges balais, pas si volants que cela. |
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Il
s'agit de la tombe de Victor Noir. |
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Victor
Noir était un jeune homme romantique, qui se piquait d'écriture comme Victor Hugo,
qui était républicain comme Victor Hugo, mais qui eut un destin beaucoup plus
tragique que Victor Hugo puisqu'il mourut très jeune, vingt-deux ans, à la différence
du poète, quatre vingt deux ans et des poussières… |
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Noir
était un nom d'emprunt qu'il avait pris en débutant sa carrière de journaliste.
Cela ne lui réussit guère… car il se fit bêtement abattre, au tout début de cette
carrière, d'un coup de revolver par un cousin de Napoléon III… et cela à l'occasion
d'un duel auquel il ne participait d'ailleurs même pas lui-même, sinon en tant
que simple témoin… Ce qui prouve la fragilité des témoignages… Une bavure, en
quelque sorte. |
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L'affaire
fit grand bruit à l'époque, et la balle fit grand trou dans le gilet et dans la
chair du jeune homme. |
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Dix
mille personnes suivirent son enterrement aux cris de "à mort l'empereur". Ça
tombait bien, c'était en 1870. |
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Juste
avant la Commune. |
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Le
jeune homme avait été si bien abattu que lorsque la République fut restaurée et
qu'il s'agit de lui construire une sépulture on décida, dans le cadre d'une souscription
nationale, de le représenter d'une façon très réaliste, grandeur nature, à terre,
avec un trou de balle bien visible, sur son gilet. |
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C'est
le sculpteur Dalou qui fut chargé du monument. |
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Malignité
de sa part, ou souci de réalisme vis à vis d'un jeune homme, romantique certes,
mais avant tout dans la force l'âge, Dalou sculpta, avec application, en dessous
du gilet, une protubérance prometteuse qui n'a cessé de faire regretter à plus
d'une, que le jeune romantique… s'en soit si vite allé ! |
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L'effet
est en outre accentué par le déboutonnage du premier bouton du pantalon du jeune
monsieur. |
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Je
vous laisse imaginer… l'effet que cet effet fait ! |
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Pour
un coup d'effet, c'est un coup de maître. |
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Dalou,
faut-il le rappeler, est l'auteur de la généreuse statue intitulée "le Triomphe
de la République"… qui orne la Place de la Nation. |
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Dalou
était un sculpteur généreux. |
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Grâce
à Dalou, Victor Noir est resté gravé dans les mémoires… et dans bien d'autres
parties intimes… |
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Si
je vous en parle, aujourd'hui, c'est que la statue, qui a toujours, depuis son…
peut on parler d'érection" lorsqu'il s'agit d'un gisant… suscité bien des émois,
suscite en outre, désormais des polémiques abondamment relatées, ces derniers
jours, dans la presse parisienne. Le Parisien "libéré" notamment, s'en est fait
l'écho sur une pleine page, dans son numéro du jeudi 7 octobre dernier. |
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"L'affaire"
en soi, n'est pas vraiment nouvelle. Un "parfum" de scandale a toujours plané
autour de l'homme de bronze qui savait murmurer à l'oreille des passantes romantiques
qu'il savait également… ne pas laisser de marbre ! |
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Les
meilleurs chroniqueurs de Paris et les essayistes du Père-Lachaise ont tous mentionné
l'aspect "remarquable" du monument avec des allusions, plus ou moins ou voilées
selon les auteurs, aux débordements qu'il provoquait. |
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Ainsi
Marcel Le Clere écrit-il dans un ouvrage intitulé "Guide des cimetières de
Paris" - Édition Guides Hachette : "Il n'existe pas seulement
des pensers et des contacts mélancoliques sous les cyprès. Au Père-Lachaise, un
certain nombre de messieurs vont admirer et toucher les seins d'une charmante
nymphette… tandis qu'en se cachant d'avantage, plusieurs femmes, isolées ou en
groupe concerté, viennent rendre hommage à l'apparente virilité de Victor Noir"… |
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Le
plus explicite est sans conteste Michel Dansel, auteur de nombreux ouvrages sur
Paris et lauréat de plusieurs prix littéraires qui, dans une édition chez Denoël
datant de 1987 de son ouvrage " Les cimetières de Paris, Promenade insolite, pittoresque
et capricieuse", écrit : |
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"Le
jeune homme est représenté dans le bronze d'une admirable manière avec, à un certain
endroit de son pantalon, une proéminence très expressive, du moins pour les dames
et les demoiselles qui viennent ici pour y passer un doigt rêveur, pour y poser
des lèvres goulues ou même pour chevaucher allègrement Victor, considéré comme
le chantre de la virilité…Certaines fanatiques se frottent le dahlia sur la bosse
magique et font le vœu de rencontrer un homme viril, d'avoir un enfant ou de se
marier dans l'année "… |
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L'auteur
précise, dans une nouvelle édition rebaptisée en 2002, chez Jean Cyrille Godefroy
"Les cimetières de Paris : Promenades historiques, anecdotiques et capricieuses"
: "L'objet de convoitise, en relief sur le pantalon du jeune homme, brille
en permanence d'un éclat très révélateur. Mais Victor Noir n'est pas que la coqueluche
des midinettes, il y a des dames du meilleur monde qui, sans dessous, viennent
aussi le consulter !" |
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On
ne peut être plus clair. |
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Alors,
pourquoi, brusquement, le sujet agite-t-il autre chose que le "dahlia" de dames,
bien mises ou sous mises, et secoue-il soudain, les organes de presse parisiens. |
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Parce
que la Conservation du cimetière a décidé de mettre fin à ces agissements que
la morale réprouve. Vu le lieu, ça se comprend, mais depuis 1890 que le monument
est érigé… elle a mis du temps à s'en rendre compte… |
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En
fait, c'est plus "vicieux" que cela, si l'on ose dire, ou plus hypocrite, puisque,
c'est sous couvert de "culture" et d'"histoire", que la Conservation ne tolère
désormais plus que l'on s'approche du monument… car le dit monument est désormais
en voie de classement en monument historique. |
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Qui
dit "classement" dit "pas touche" et du coup… voilà Victor entouré de barrières
de sécurité, pour ne pas dire ceinturé de chasteté. |
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Un
panneau explique le pourquoi du comment avec force indignation vis a vis de prédateurs
qui ont jadis abusé du bonhomme, à travers des "attouchements indécents"... |
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Victor
Noir vient donc, en quelque jours, de se refaire une virginité ! |
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Mais
jusqu'à quand ? Car je ne vous dit pas, du coup… le monde que les barrières attirent
! |
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Jamais,
finalement Victor n'aura été autant célébré. |
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Derrière
les barrières, des fleurs, jetées à la volée, s'accumulent, chaque jour de plus
en plus nombreuses, …entre les jambes de notre héros. |
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Noir
désirs… diront certains. |
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Beaucoup
de buis pour rien vous rétorqueront d'autres ! |
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Toujours
est-il que si vous vous baladez au Père-Lachaise, faîtes le détour, le monument
en vaut la peine… |
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Victor,
victorieux ! |
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Cela
n'aurait sans doute pas manqué d'amuser André Gill, le célèbre chansonnier, "ami
des artistes pauvres", qui a donné son nom au cabaret de Montmartre "le Lapin
Agile" et qui repose, en pleine lumière, non loin de la tombe du célèbre Victor,
provisoirement dans le Noir ! |
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Paris
le 3 novembre 2004 |
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Patrick
Blanchard |
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