|
| |
|
|
|
Mercredi
17 mars 2004 | |
C'EST
L'PRINTEMPS | |
On voyait que le printemps venait d'arriver. | |
Des
bouquets de fleurs étaient tendus aux passants au coin des rues. |
| Dans
les boucheries les têtes de veau avaient un air serein, un brin de persil dans
les naseaux. | |
Tout
était en fleur. | |
Les
têtes de mouton de "Chez Marcel" riaient de toutes leurs dents. |
| Un
éclair de joie brillait dans les yeux de bœufs harmonieusement dispersés au milieu
des langues et des rognons. | |
Le
boucher, les mains toutes rouges enveloppait sa viande dans des feuilles de journal
et mettait ainsi du sang à la une. Mais c'était du sang de printemps, on commençait
même à sentir le sang chaud, et une femme, sang gêne, faisait sang et une manières
pour délicatement croquer un morceau de foie qu'elle trouvait, ma foi, assez bon
pour une fois. | |
"C'est
l'printemps, Madame, tout est bon aujourd'hui", s'époumonait Marcel,
le visage poupon tout illuminé d'une lumière retrouvée après ces longs mois d'hiver.
Il était beau comme un sou neuf, Marcel, et même que pour l'occasion il en avait
changé, de "Marcel"… | En
fait, il s'appelait pas Marcel, c'était juste l'enseigne qui était restée, lui
il s'appelait Mohamed... Momo pour les intimes, mais il continuait à faire boucherie-triperie
comme son lointain ancêtre de la " Grande Boucherie Triperie de Belleville ",
même s'il avait un peu peur, qu' un jour, les chinois du quartier, ne transforment
sa boucherie en traiteur asiatique… | |
Le
boucher continuait à jouer aux osselets et la femme sang gêne, qui avait un peu
bu, mettait les bouchers doubles en redemandant sans cesse du foie tout en alpaguant
les passants qui avaient ressorti leurs vieux costumes neufs en alpaga. |
| "Mon
foie, connais pas" hurlait-elle à tue-tête et le boucher double commençait
à voir rouge, par déformation professionnelle, sang doute… |
| C'était
pourtant un brave homme que ce boucher, et il avait constamment le cœur sur la
main, un cœur qu'il coupait en tranches fines et enveloppait dans de la Cellophane. |
| Dans
la rue les hommes "tendance" sifflotaient en balançant leur queue de cheval et
les femmes remuaient leur croupe, même s'il y en avait quelques unes qui, depuis
cet hiver, la cachaient de plus en plus souvent, leur croupe, en plus de leurs
cheveux, sous de lourds foulards, sans doute bien lourds à porter en ces premiers
jours du printemps... | |
Signe
des temps et du quartier, sans doute… et puis c'était l'année de la Chine ! |
| Dans
les beaux quartiers et les quartiers des affaires c'était différent. |
| C'est
l'Printemps s'exclamait-on devant un grand magasins des Grands Boulevards. |
| Seules
les Galeries Lafayette ne vantaient pas les mérites du Printemps, car ils pensaient
que le Printemps, pour La Fayette c'est la faillite. De toute façon les articles
étaient bon marché et de bons samaritains et samaritaines vantaient les mérites
de leur bazar tel qu'on en trouve à l'Hôtel de Ville… |
| Il
y avait des innovations, des Inno Nation, des Printemps Nation, bref toute la
nation ne parlait que du printemps et tous les commerçants ne pensaient qu'à faire
leur beurre avec l'arrivée soudaine des beaux jours. |
| L'épicier
arabe de la rue des Pyrénées qui n'avait pas les mêmes scrupules que Marcel-Momo,
venait, lui, déjà de faire son beurre en vendant son commerce à un traiteur chinois,
une annexe de celui de la rue de la Chine, ce qui était normal… puisque c'était
l'année de la Chine. | |
Chine
ou pas Chine, Toute la ville ne parlait plus depuis ce matin que de cerisiers
et d'azalées japonais, très tendance cette année, bref de fleurs, de fleurs de
lotus et de Printemps. | |
Dans
le métro on trouvait même des Portes des Lilas, des stations Jasmin, des Ponts
de "Sève" et des Chemins Verts… Les gens assoiffés descendaient à Glacière ou
à Château d'Eau, d'autres allaient faire du bateau rue du Bac, et ceux qui avaient
faim poussaient jusqu'à Madeleine ou Parmentier pour manger des pommes de terre
en Notre Dame des Champs… | |
On
pensait déjà aux vacances et les rêveurs se laissaient porter, les plus modestes
jusqu'à Luxembourg ou Italie, tandis que d'autres, plus ambitieux changeaient
Gare du Nord ou Gare de l'Est pour aller vers l'Est, le Grand Est… Stalingrad,
Danube… d'autres encore optaient pour Pyramides ou Argentine… |
| C'était
la canicule avant la lettre qui arrivait brusquement comme Mars en Carême. |
| Il
faisait chaud dans les couloirs du métro et sur les affiches des Galeries Lafayette,
Laetitia Casta, lassée et lacérée, transpirait à grosses gouttes, tandis que les
murs que longeaient les hommes qui lorgnaient sur elle, la Casta, étaient en sueur,
et les hommes aussi d'ailleurs… c'était l'printemps… c'était déjà l'ÉTÉ. |
| Ce
soir, des femmes très bien habillées, enfin, très bien déshabillées sortiraient
en voiture, pas en métro, c'est trop dangereux quand on est bien déshabillé et
qu'on ne porte pas de foulard sur ses cheveux… ni ailleurs, ces femmes donc, dont
beaucoup de secrétaires avec leurs patrons pourtant …retenus en réunion, sortiraient,
dans la voiture du patron, pour aller se promener… le long des quais de la Seine,
c'est tellement romantique, et les messieurs seraient galants et leur tiendraient
des propos d'un autre temps… "Que le ciel est beau, ce soir presque aussi beau
que vos yeux"… "C'est l'PRINTEMPS"… "Ton visage est plus beau
que jamais sous l'éclat de la lune"… ills
ne se rendraient pas compte qu'il n'y avait pas de lune, c'étaient les phares
des voitures… mais ça ne faisait rien… c'était l'PRINTEMPS. |
| En
bas de la rue des Pyrénées, à côté du nouveau traiteur chinois qui vient de remplacer
l'arabe du coin, il y a trois meufs, une en foulard et deux en jean qui téléphonent
sur leur portable. On ne sait pas à qui elles parlent, ni de quoi elles parlent,
même si elles parlent très fort mais on a l'impression qu'elles ne se sont pas
vraiment rendu compte que c'était l'printemps… c'est peut-être normal, après tout,
puisque cette année, c'est l'année de la Chine ! | |
Paris,
le 17 mars 2004 | |
Patrick
Blanchard | |
NB:
Oui, je sais, lecteur attentif, le printemps c'est officiellement le 20 mars…
mais en fait ça fait déjà huit jours que ça dure, et dès demain, on nous
annonce le retour… de l'hiver… Alors si j'en profite pas aujourd'hui, l'humeur
suivante risque d'être par trop maussade… | |
|